En cette fin d’année 2005, année du Brésil en France — année du ridicule donc, des manifestations bon marché auxquelles on se flatte d’avoir échappé de crainte que le cerveau ne fonde de se sentir ainsi assailli par tant de bêtises démocrates-culturelles venues de l’autre hémisphère — c’est le moment de ressortir un disque de 2004, objet musical brésilien inouï. Un vieux disque en quelque sorte, vieux de son inactualité et qui témoigne de la vitalité avec laquelle la musique peut se disséminer.
Mestro de
Hurtmold est un disque comme il n’y en a pas assez. Encadré par deux authentiques chefs-d’œuvres de rythme et de mélodie (
Mestro et
Musica politica para Maradona cantar), mélangeant avec une habileté hors du commun des tonalités rock et sud-américaines, des modèles rythmiques entre jazz et samba passés au crible de frappe sèche et souple d’une batterie dont le son est retravaillé par fines touches quasi-pointillistes, leur musique donnera parfois l’impression d’un hommage “post-rock” au
Santana des grandes années. Pas de solo de guitare, cependant, mais une approche collective de la musique qui donne toute l’ampleur de l’improvisation aux compositions.
Si
Mestro et
Musica Politica Para Maradona Cantar se dégagent du reste de l’album, ce n’est pas à cause de la faiblesse des autres titres.
Sova, par exemple, en partie du fait de son ambiguïté entre rock post-70’s et free jazz, est un modèle dans l’art de la construction musicale à partir d’une ligne de basse, composition qui s’augmente minute après minute, de sonorités, textures, motifs, mais toujours en gardant le cap.
Non, si ces morceaux se démarquent, c’est qu’il y a là quelque chose qui se joue, qui se libère et fait découvrir un monde musical dont on pouvait se demander s’il n’était pas tout simplement oublié. Il faut écouter
Musica politica para Maradona cantar dans toute sa richesse et, ce que l’on se risquera à appeler, non sans réticence, sa démesure pour s’apercevoir de ce qu’il peut manquer à une musique exclusivement occidentalisée.
Le Brésil de
Hurtmold n’est pas celui du cliché carnavalesque, de la chair qui s’agite en vain. Pas d’exotisme populacier, ici, mais une approche de la musique pour laquelle le rythme est total, dominant tout jusqu’à l’approche de la mélodie et de l’harmonie. Du carnaval, il y en a donc bien, en un sens : au sens où la musique ne peut se retenir d’être percutante, de déjouer le schéma dans lequel elle s’enferme volontairement pour mieux faire ressortir sa spécificité. Car, alors même que l’on s’imagine qu’elle tourne en rond, elle s’invente un nouveau destin. Le format relativement court des morceaux (toujours moins de 7 minutes) augmente cette force percutante : on ne se perd pas en circonvolutions inutiles, chaque phase, chaque période, chaque motif est présenté, exploité et laissé à lui-même. On ne s’y attarde pas, on ne le souligne pas à outrance. L’essentiel est ailleurs, dans le rythme, toujours encore à soutenir.
Chroniqué par
Jérôme Orsoni
le 27/12/2005