Depuis 1999 et la sortie du EP
Asphalte hurlante ,
La Caution s’est affirmé à juste titre comme le groupe qui a su redonner une seconde vie à un courant en pleine crise de conscience. En effet, alors que
TTC et le
Klub des Loosers ont marqué les esprits en contournant les clichés relatifs au rap français,
Hi-Tekk et
Nikkfurie sont parvenus à livrer un travail de qualité en intégrant avec originalité de nombreux lieux communs au genre pré-cité. Cette affirmation repose essentiellement sur un concept : la rue, qui domine les thèmes de ce
Asphalte Hurlante (ultime édition) , mais qui est évoquée sous un angle surprenant, frais et bienvenu.
Car au-delà de cette thématique récurrente se profile l’écriture métaphorique et abstraite des deux MC’s, qui intègrent dans leurs allégories urbaines un nombre incommensurable de références littéraires et de clin d’œils aux comics comme aux films de science-fiction. « J’ai trouvé la formule comme Einstein », on ne peut le nier et ne faire qu’apprécier le résultat. Les phases se chevauchent et les allitérations défilent avec une technique impressionnante,
Hi-Tekk et
Nikkfurie restant deux des meilleurs rappeurs de France grâce à un flow atypique, sentencieux, continu et diaboliquement précis. Morceaux choisis en guise d’illustration de cette apologie lyricale : « Le flic : un dos d’âne anodin , doté du don d’abattre au teint , dompté d’un tonneau de vin d’antan , pendant qu’ un badeau meurt d’O.D ; la France d’ auteur d’ Alphonse Daudet , de Danton à Baudin : mentir de Sedan à Meudon , du bandit au mendiant ,du lundi au lundi…», puis « Canibalement vôtre , Hi-Tekk allume le calumet de la paix , grille l’allumette , esquive les amulettes vaudous ;c’est de la mise à l’amende, sans le pénible usage de la péridurale … », le ton constamment sec achève de refroidir l’ambiance…
Mais au-delà de ces prouesses individuelles s’affirme une véritable unicité, comme le scande fièrement
Nikkfurie, « On est complémentaires, pire qu’un tremblement de terre, j’ai un sampler en tête, j’te force à rendre l’antenne ». Excès d’egotrip ? Il suffit d’une écoute pour s’en dissuader, tant les pièces instrumentales de
Nikk sont d’authentiques concentrés d’éclectisme, de déconstruction et de constante qualité. Gemmes parmi les perles, la guitare électrique et les scratches appuyés du gargantuesque
Casquettes grises, la combinaison basses lourdes – violons de
20'000 lieues sous la merde et le minimalisme novateur de
Toujours électriques achèvent de porter le disque au panthéon du genre. A la manière d’un
Amon Tobin,
Nikkfurie compose des tableaux débordant de subtilité, stimulant par la richesse de leurs sons la moindre parcelle de la mémoire visuelle de l’auditeur. Une superbe symphonie métallique qui s’écoute sur grand écran, en quelque sorte.
Sans conteste, cette ultime édition du déjà classique
Asphalte hurlante impressionne par son aboutissement et sa complexité, tout en restant extrêmement agréable à l’écoute. On peut ainsi apprécier le travail de
la Caution pour ses atmosphères oppressantes, ses assonances formelles ou sa richesse textuelle, selon les humeurs du moment et l’attention qu’on lui porte. Tout en gardant à l’esprit que la combinaison des trois est vivement conseillée.
Chroniqué par
David Lamon
le 21/03/2004